Quand l'univers des jeux
vidéo s'inspire de l'histoire
Les Assassins du jeu vidéo Assassin's Creed ne sont pas de simples
personnages de fiction; inventés pour le jeu.
Les Assassins ont vraiment existé entre 1000 et 1200 environ,
qui étaient des extrémistes islamistes.
Asassin's creed est un jeu travaillé, que ce soit dans
la forme ou par ses choix scénaristiques.
Il faut cependant savoir que même si le jeu s'inspire des Assassins de la secte
Ismaïlienne qui a réellement existé, il se focalise plus sur le roman Alamut de
Vladimir Bores. Livre lui même inspiré de la légende des haschashin rapportée
par Marco Polo.
L'auteur du livre a utilisé
cette légende pour faire transparaître le totalitarisme, qui s'insinuait au
travers du populisme et de promesses de paradis, au point que les hommes
finissent par l'accepter. C'est un thème omniprésent dans Assassin's creed :
l'enjeu de cette histoire est le contrôle qui est présent sous plusieurs formes;
par exemple, en visitant les villes de différentes religions, vous verrez
toujours des populistes qui parlent à la foule de la nécessité de se sacrifier
au nom de Dieu. Ce qui d'ailleurs se révèle plutôt cynique puisque chacun
appelle à la guerre pour le même Dieu.
Al Mualim, le maître des Assassins tient du personnage romancé "Hassan". Dans le
roman, il tente d'étendre son emprise dans tout le pays grâce à ses assassins,
il représente un des thèmes forts deVladimir Bores : la manipulation de masse.
Celle-ci prend forme, dans le jeu, avec l'orbe d'Eden, artefact permettant de
contrôler l'esprit des gens. Mais son pouvoir n'est pas infaillible : l'homme
peut s'en soustraire par l'usage de la raison; ce que l'on peut voir comme une
personnification de la manipulation en ce sens que l'orbe n'a finalement de
pouvoir que ce qu'on lui donne et que malgré ses pouvoirs ''spectaculaires''
elle n'est pas toute puissante sur l'homme. Cela rejoint un autre thème
primordial du roman qui est de ne jamais dédaigner sa raison au profit de
l'illusion.
En effet dans Alamut, l'emprise grandissante d'Hassan repose exclusivement sur
le trucage et la supercherie, personne ne pouvant vraiment la remettre en cause
tant il joue sur les apparences et les idées reçues. Hassan est aussi un homme
très cultivé qui a fini par conclure que toutes les idées avaient pour point
commun d'être basées sur l'illusion, d'où son credo : «rien n 'est vrai, tout
est permis».
Cette érudition est montrée dans le jeu par le surnom du personnage "Al Mualim"
qui signifie "le professeur" -son véritable nom ne sera jamais divulgué- et par
sa présence continuelle dans la bibliothèque de la forteresse. Sa position de
guide est largement révélée par la tendance qu'ont tous les membres de la secte
à se référer aveuglement à ses paroles.
Selon la légende et le roman, ce degré de manipulation a pu être atteint au
moyen de la drogue et d'un jardin secret : Hassan, aussi appelé le "vieux de la
montagne", amenait ses Assassins dans un jardin luxuriant après les avoir
drogués. Là-bas, ils expérimentaient mille plaisirs avec des femmes souvent
vierges puis ils étaient à nouveau drogués et alors convaincus d'avoir gouté au
paradis. Et comment le retrouver ? En obéissant au maître, qui se fait lui même
passer pour un prophète qui en possède les clés.
Pour illustrer l'ampleur du fanatisme de ses assassins qui font toute sa force,
la légende raconte qu'Hassan aurait demandé à deux de ses assassins de se
suicider -l'un d'eux s'est jeté d'un mur fortifié- sous les yeux d'un
ambassadeur des Croisés.
Alamut décrit ces deux suicides qui rapellent étrangement le saut de l'aigle ,
le suicide d'un des assassins étant décrit ainsi :
"Il escalada l'ultime parapet. Ses yeux découvrirent alors un paysage céleste :
un vaste horizon de palais, de tours, de coupoles étalait mille splendeurs à ses
pieds. ''Je suis un aigle! Songea t'il. Oui, me voilà redevenu prince des
oiseaux...''. Il ouvrit les bras comme un oiseau déploie ses ailes, et sauta
d'un bond dans le vide."
Le jeu fait référence à la légende de Marco Polo par
divers clins d'œil :
Lorsque Altair et un autre assassin doivent simuler un suicide en sautant des
murs fortifiés, dans le but d'impressionner l'ennemi et de leur tendre un piège.
De même avec le jardin qui est modélisé à l'arrière de la forteresse, le lieu même où se déroule le combat final contre Al Mualim. Il est possible d'y accéder au cours du jeu et d'y voir des femmes flâner.
Quant à la drogue, elle est suggérée par l'un des hommes que vous assassinez
qui affirme lui-même l'avoir utilisé pour manipuler des esclaves. A votre retour
de mission, votre maitre condamnera ce moyen devant un Altair en plein
questionnement. On apprendra plus tard que Al Mualim était aussi un templier,
tout comme les 9 autres victimes et on peut donc penser qu'il aurait lui-même
profité de cette méthode de manipulation pour créer d'autres Assassins.
Les développeurs du jeu se sont donc efforcés de faire des références à la
légende des "haschashin". Pourtant elle n'est pas historiquement avérée, il
existe un débat sur la véritable appellation des Assassins :
Appeler les Assassins "fumeurs de haschich" vient surtout de Marco Polo et des
rumeurs venant des Croisés.
Dans un livre d'Amin Maâlouf, il est dit qu'Hassan aimait appeler ses assassins
"Assassiyoun", autrement dit les "fondamentalistes", dans le sens qu'ils sont
restés fidèles aux fondements de leur religion qui est l'Ismaélisme.
Cette branche minoritaire du Chiisme consistait à favoriser la connaissance de
soi afin de se rapprocher de Dieu, d'étudier le Coran de manière ésotérique en
l'interprétant par des allégories.
La secte d'Al Mualim est différente et se rapproche plus d'une forme de
nihilisme. La raison étant le seul moyen pour l'homme de se libérer.
Certains aspects du jeu s'efforcent de faire référence aux valeurs des
Assassins. Le couteau, par exemple, était l'arme de prédilection des Assassins
qui avaient une aversion pour les armes moins personnelles comme le montre le
dégout d'Altair lorsqu'il voit Abul Nuqoud (père de l'argent ^^) empoisonner les
nobles de Damas! Cela explique aussi que votre arsenal soit composé
exclusivement de lames : dague, épée, couteaux de lancer et lame cachée.
Enfin les assassinats spectaculaires en plein jour, devant plusieurs témoins,
étaient aussi une des particularités des Assassins qui voyaient là un moyen de
montrer leur détermination et de répandre la peur. Mais les Assassins ne se
mettaient pas ensuite à courir sur les toits ^^ mourir était tout aussi
important que le meurtre, puisque de cette façon ils révélaient leur conviction
infaillible et inspiraient la foule à les suivre.
Maîtres et Élèves :
Tout comme le roman Alamut, le jeu ne se contente pas de montrer la figure
monstrueuse d'hommes désillusionnés, mais au contraire d'approfondir leur
motivations, de voir ce qui fait leur humanité.
Al Mualim l'expliquera très bien à son élève : haïr son ennemi c'est omettre ses
intentions laissant place à la seule monstruosité des actes et oubliant ainsi ce
qu'on pourrait apprendre de lui.
Tous les protagonistes -incluant les 9 templiers- sont liés par le même désire :
la paix; et sont par la suite confrontés à la tentation de la tyrannie. Majd
Addin, une de vos victimes à Jérusalem sera la seule, parmi les templiers, à
admettre qu'elle n'agissait plus pour la paix mais pour le plaisir que procure
le pouvoir.
Altair représente aussi cette dualité : c'est d'ailleurs durant cet assassinat,
en prenant conscience de sa ressemblance avec son ennemi, qu'il se rend compte
qu'agir par orgueil n'amène à rien. S'ensuit un changement radical où il
poursuivra désormais un idéal. La relation de Altair et Malik en est d'ailleurs
la meilleure illustration :
Malik a perdu son frère et son bras gauche par la bêtise d'Altair qui, au début,
ne fait preuve d'aucun regret. Il finira par surpasser son orgueil et s'excusera
auprès d'un Malik conciliant, voyant en lui un autre homme. Naitra alors une
relation de confiance entre deux personnes antagonistes qui s'acquittèrent de
leurs différents en faveur d'une sérénité commune.
Altair a su évoluer avec l'aide de Malik et lui rendra la pareille en
l'encourageant à utiliser son libre arbitre, à se libérer de leur maître. En
effet, lorsque Robert de Sablé s'en est allé convaincre Richard et Saladin de
s'allier contre les Assassins, il reprochera àMalik d'utiliser le credo des
Assassins comme un bouclier pour obstruer ses propres réflexions.
Cette capacité d'oublier sa rancune et son orgueil se retrouve en Ibn Tahir, un
personnage d'Alamut. Même en étant l'Assassin le moins crédule, il finira tout
de même par tuer au nom d'Hassan et, son forfait réussi, c'est en écoutant les
dernières paroles de sa victime qu'il réalisera qu'il avait été manipulé.
D'autres assassins n'auront pas cette force de discernement, persuadés d'avoir
la vérité de leur côté.
La relation d'Altair et d'Al Mualim est aussi intéressante
:
Si au début le maître épargne son élève, c'est qu'il a besoin de ses compétences
d'assassin. Mais au fur a mesure, Altair devient plus que ça : il comprend
l'idéal de son maître et le poursuit de sa propre volonté, il s'affranchit ainsi
de l'influence de la secte, il ne boit plus les paroles de son maître mais les
questionne, avec de plus en plus de pertinence. Al Mualim commence alors à le
respecter et avoue à la fin qu'il le considère comme le plus brillant de ses
disciples en ajoutant qu'il lui a même ouvert les yeux. C'est d'autant plus
symbolique qu'Al Mualim est assimilé à Hassan, qui d'après la légende a
construit la forteresse Alamut dont l'origine provient du dialecte daylami «amut
d'aluh» (nid de l'aigle) qui en arabe est signifié par «Ta'lim Al 'Oqab»
(l'enseignement de l'aigle), et qu'Altair(oiseau) est assimilé à l'aigle.
Si au début Altair se montre arrogant, voire stupide par ses actes, il apprend par ses rencontres et les dernières paroles de ses victimes à se ménager, à ne plus vouloir agir pour sa fierté mais pour le bien commun. La liberté dans laquelle il voulait se croire devient synonyme de sagesse. Altair remet alors en cause sa position d'élève : on peut le voir lorsqu'a la fin le maître avoue à Altairqu'il a tenté de le manipuler avec l'orbe. Comme Altair a vu au-delà de l'illusion et il est donc la preuve vivante qu'elle n'est qu'un artifice de plus dans un monde de mirages. Même si le héros croit toujours aux valeurs et au credo des Assassins, il utilise sa raison au mieux, quitte a se sacrifier : lorsqu'il se rend à Arsouf -une véritable bataille historique entre Richard et Saladin-, il va au bord d'une mort certaine afin de prévenir la destruction de Masyaf. Finalement, il est épargné par un Richard Cœur de Lion pessimiste qui lui délivre sa dernière leçon : aucun homme ne peut être infaillible, pas même son maître.
Cette relation entre Altair et Al Mualim est aussi présente dans Alamut, au
travers de deux personnages: Ibn Tahir et Hosseïn, le second est le fils de sang
d'Hassan. Lorsque celui-ci a révélé à son fils sa pensée profonde «rien n'est
vrai et tout est permis», Hosseïn lui a répondu qu'il savait déjà cela en
haussant les épaules... persuadé de déjà le savoir. Ce personnage est comme
Altair au début du jeu, on peut l'assimiler à l'homme qui pense appréhender les
mots sans y déceler les idées et concepts.
Hosseïn va d'ailleurs être tué pour les mêmes raisons qu'Altair va
symboliquement l'être; tous deux ont désobéi, en connaissance de cause, aux
règles de la secte sans même se rendre compte de leurs fautes.
Après sa mort feinte, Altair va évoluer et se rapprocher du personnage le plus
important pour Hassan : Ibn Tahir. Celui-ci, d'abord un Assassin manipulé,
reviendra à Alamut pour assassiner Hassan, mais lors de cette rencontre il se
rendra compte qu'il est le père qu'il a toujours voulu avoir.
Le nihilisme d'Hassan est un cheminement de toute une vie en vue de comprendre
l'être humain et sa condition. Or il lui a semblé que tous aiment croire en des
fables et des concept qui les installent dans la confortable sensation de saisir
la vérité universelle etce regard sur l'humanité a fait d'Hassan un homme
solitaire et désabusé.
Il laissera partir Ibn Tahir qu'il considère avoir la force de supporter la
solitude qu'engendre la lucidité et il lui dira ces mots, son héritage spirituel
: "Va t'en loin d'ici, mon fils. Apprends et chercher à savoir. Ne recule devant
rien. Rejette tout préjugé. Que rien ne soit pour toi ni assez haut ni assez
bas."
Ibn Tahir sortira de cette entrevue avec un nouveau regard sur le monde, neuf,
devenant philosophe. Il représente l'homme qui chercher à comprendre et à
expérimenter le monde, ce qu'Altair devient au fur à mesure de sa quête,
devenant lui aussi l'héritier de la pensée d'Al Mualim.
Dieu est dans les détails :
Le but premier d'Al Mualim était la paix dans un monde chaotique dominé par la
guerre et l'incompréhension : trois religions, trois cultures, trois langues.
Avant l'orbe, il comptait y contribuer par le biais de sa secte d'Assassins en
éliminant les investigateurs des guerres religieuses.
Avec l'orbe s'est ajoutée la possibilité du contrôle absolu d'où la dérive
d'avec ses valeurs premières. Au final, il prend la décision de manipuler les
esprits mais laisse transparaître ses doutes quant au bien fondé de ses actes
par son duel avec Altair. Alors qu'il aurait aisément pu se débarrasser de lui
en le paralysant avec l'orbe, il décide finalement de l'affronter. Altair est la
dernière chance de l'arrêter dans sa décision et si Al Mualim venait à mourir,
son élève pourrait continuer son œuvre en tant qu'héritier de sa pensée
primaire.
Le combat final contre Al Mualim peut être aussi perçu comme un acte de foi, le
maître désillusionné qui laisse à son apprenti la possibilité de se défendre. A
sa mort, Altair lui demande pourquoi il ne l'a pas tuét et celui-ci lui répond
qu'il ne pouvait détruire le dernier espoir de sauver la Terre Sainte.
En acceptant d'affronter son élève, dans lequel il voit tant de perspectives si
proches et si opposées de ses desseins, Al Mualimn'attendrait-il pas un signe
divin qui trancherait en faveur d'un des deux idéaux ?
Les duels entre les hommes, à l'époque du moyen-âge, revenaient à s'en remettre
à Dieu -d'ailleurs beaucoup de gardes que vous affronterez crieront que Dieu est
avec eux-. Richard Cœur de Lion le précisera lui même, lorsque ne sachant qui
croire entre Robert de Sablé et Altair, en déclarant «s'en remettre à quelqu'un
ayant un meilleur jugement que lui» : Dieu. Du combat qui s'en suivra,Altair
sortira vainqueur et le roi épargnera l'assassin en faisant remarquer que s'il
ne croit pas en Dieu, Dieu croit en lui au travers de sa victoire : victoire qui
est en faveur du libre arbitre de l'homme.
Dieu est omniprésent, surtout au
travers des croyances du peuple et des guerres menées en son nom. Altair et Al
Mualim ont perdu espoir en lui, voyant la Terre Sainte comme assaillie par des
religieux tuant au nom d'un Dieu absent. Le maître, en trouvant l'orbe d'Eden,
ne voit pas là un signe divin mais au contraire une preuve que ce monde n'est
qu'illusion, remettant alors en cause les actions de Moïse et de Jésus -il
déclare que les miracles religieux n'ont été possibles qu'avec l'orbe-. Il
déverse aussi sa rancune dans une époque injuste où ne pas être croyant revenait
à être hérétique.
Cependant les signes présents à la fin du jeu portent de lourdes significations
religieuses, et les allusions aux livres contenant une vérité cachée touchent
l'ésotérisme : «nous sommes tous des livres de plusieurs milliers de pages et à
l'intérieur de chacune d'entre elles réside une irrémédiable vérité».
Hassan dans Alamut ne croit plus en Dieu tel qu'il est décrit dans les
différentes religions, et pourtant, malgré tous ses discours, son dégout pour
l'absurdité du monde et du maque de sincérité dans les réflexions des hommes;
tout ce qu'il a entreprit est comme un moyen de se persuader qu'il n'y a pas de
divinité... du moins qui se préoccupe de l'homme. Ainsi lorsqu'il demandera à
deux assassins de se suicider pour un paradis qu'il a crée de toute pièce, il
attendra anxieusement le plus petit signe divin qui le fera se dérober. Mais
rien ne se passera, le soleil continuera de briller comme si de rien n'était...
Hassan poursuivra son œuvre.